BIODOC 8 – Mycorhizes pourquoi et comment profiter de leurs bienfaits ?

  • Mycorhizes

    Avec l’aimable autorisation de Joseph Pousset, nous partageons avec vous aujourd’hui la fiche BIODOC n°8 :

    Mycorhizes : pourquoi et comment profiter de leurs bienfaits ?

    Le monde des champignons est vaste et complexe mais tous possèdent au moins un point commun : ils sont hétérotrophes c’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas produire leur propre nourriture par photosynthèse comme le font les plantes vertes chlorophylliennes.

    Ils sont donc obligés, comme les animaux et les humains, de consommer des matériaux organiques déjà élaborés soit morts (champignons saprophytes), soit vivants (champignons parasites).

    Ils sont présents dans divers milieux, notamment dans les sols où ils constituent une grande partie de la biomasse, surtout dans les terres acides. Ils apprécient l’humidité mais craignent l’asphyxie car l’oxygène leur est nécessaire (contrairement à d’autres organismes comme les bactéries anaérobies).

    Parmi les nombreuses « solutions » que les champignons ont trouvées pour s’alimenter l’une d’elles intéresse tout particulièrement l’agriculteur et le forestier : la mycorhize.

    La mycorhize (terme dérivé de deux mots grecs dont l’un signifie racine et l’autre champignon) est une association entre un champignon et les racines d’une plante.

    Mycorhizes (1)On distingue, en gros, deux types d’associations mycorhiziennes :

    Les ectomycorhizes

    Le champignon fabrique un mycélium (sortes de filaments) qui entoure les racines en formant un manchon autour d’elles.

    Les endomychorizes

    Le mycélium du champignon pénètre dans la racine. À l’œil nu on distingue des filaments sortant de cette dernière mais pas de manchon.

    Il arrive que ces deux types soient présents en même temps sur une racine, on parle alors d’ectendomycorhizes. Le premier type est minoritaire et concerne surtout les arbres, le second est majoritaire et concerne presque tous les végétaux.

    Beaucoup de gens connaissent les cèpes, les truffes ou les lactaires mais la plupart ignorent qu’il s’agit de formes fructifères visibles de champignons mycorhiziens associés à des arbres comme les chênes…

    Une association « mutualiste »

    Le champignon puise dans les racines des substances carbonées fabriquées par le végétal auquel il s’est associé. En échange il rend à sa plante hôte de nombreux services plus ou moins bien connus.

    Il lui permet d’augmenter l’efficacité de son système radiculaire car les filaments qui sortent des racines ou les entourent sont parfois très longs et forment de véritables radicelles supplémentaires. L’absorption des éléments minéraux est ainsi amplifiée, notamment, mais pas uniquement, celle du phosphore.

    Il améliore également sa résistance à la sécheresse. Il l’aiderait à mieux résister à certains ravageurs, notamment aux nématodes.

    La mycorhization apparaît ainsi comme un facteur favorable au végétal et donc à l’agriculture.

    Notons à ce sujet que les filaments mycéliens pourraient parfois relier deux végétaux appartenant à des espèces différentes. Je ne suis toutefois pas certain que ce phénomène surprenant ait été bien mis en évidence.

    Un phénomène très général

    Il semble bien que la grande majorité des végétaux puisse bénéficier de la mycorhization.

    Toutefois quelques plantes comme les crucifères (colza, radis, navette.), les betteraves ou encore les chénopodiacées (épinards.) feraient exception.

    Notons que vue sous cet angle la flore adventice apparaît bénéfique car la plupart des « mauvaises herbes » facilitent le développement de champignons mycorhiziens bénéfiques aux cultures.

    Existe-t-il des végétaux plus « mycorhizogènes » que les autres ?

    À ma connaissance cela ne paraît pas évident.

    Les légumineuses sont toutefois présentées par certains spécialistes comme particulièrement efficaces, les arbres des forêts également.

    Mycorhizes (2)D’une manière générale les végétaux peu sélectionnés paraissent plus aptes que les autres à utiliser les mycorhizes.

    Un facteur naturel de production en agriculture

    La nature « sait » produire une végétation abondante grâce à des mécanismes puissants qui nous sont partiellement connus : fixation d’azote par diverses bactéries du sol, captation d’éléments minéraux de l’atmosphère par la cellulose, prélèvements d’autres éléments dans la roche mère par les racines, etc., etc.

    La mycorhization est un de ces facteurs naturels.

    En agriculture industrielle on néglige généralement ces mécanismes considérés comme trop complexes, difficiles à maîtriser et insuffisamment efficaces sur les rendements des cultures. On préfère leur substituer divers intrants. En agriculture écologique au contraire on doit leur donner un rôle primordial si l’on veut obtenir de bons résultats agronomiques et économiques.

    Cela n’implique pas, heureusement, que pour réussir le praticien doit connaître parfaitement leur fonctionnement.

    Si c’était le cas, la mise en œuvre de l’agriculture écologique ne serait accessible à personne.

    Mais il doit surtout s’appuyer sur l’observation et la réflexion qui conduisent à respecter quelques grands principes dont les plus importants me semble :

    • une rotation culturale aussi continue que possible (dans cette optique : importance des engrais verts intercalaires)
    • un bon équilibre sucres/cellulose/azote sur l’ensemble de la rotation (cultures + engrais verts)
    • un travail du sol judicieux (façons culturales légères et progressives) générant et maintenant une bonne structure
    • un choix des cultures et des engrais verts tenant compte de la flore spontanée indicatrice et correctrice
    • un bon équilibre entre les cultures d’hiver et de printemps (précoces et tardives)
    • la réduction du stock de graines d’adventices du sol (déstockages) et un nettoyage suffisant des lits de semence (faux semis)
    • une décomposition des matières organiques en surface ou au moins en conditions aérobies
    • des apports d’engrais minéraux nuls ou modérés et sous des formes aussi naturelles que possible
    • la non-utilisation de poisons.

    L’application soignée de ces principes permet aux facteurs naturels évoqués plus haut de s’exprimer au mieux et on peut alors obtenir des récoltes convenables avec peu d’intrants.

    Un processus fragile

    Monsieur Jourdain faisait paraît-il depuis longtemps de la prose sans le savoir. De la même façon l’agriculteur qui travaille bien utilise à son profit les mécanismes naturels sans forcément connaître leur fonctionnement, ni même leur existence.

    Mais la mycorhization, comme la plupart des phénomènes de la vie est à la fois robuste et fragile.

    Robuste car elle fonctionne parfaitement seule si les conditions de ce fonctionnement sont réunies et respectées par le praticien.

    Fragile car l’homme peut la perturber gravement ou même l’empêcher de se manifester par des interventions inappropriées.

    Ne pas défavoriser la mycorhization

    À mon avis cinq grandes erreurs au moins sont à éviter :

    • utiliser des produits toxiques qui tuent les champignons ; en premier lieu bien entendu les fongicides, y compris ceux tolérés en culture biologique, notamment les spécialités à base de cuivre (dans la mesure du possible)
    • bouleverser exagérément le sol : les façons culturales profondes, notamment le labour, brisent les filaments mycéliens des champignons et tuent ces derniers. De ce point de vue il est préférable de les éviter, sauf lorsque leur utilité est manifeste (décompactage, lutte contre les adventices pluriannuelles)

    apporter des fumures minérales injustifiées et excessives : nous savons que les champignons mycorhiziens fixent dans le sol divers éléments minéraux et en donnent au moins une partie à la plante verte à laquelle ils sont associés. Si on apporte en quantité importante ces éléments sous forme d’engrais Mycorhizes (3)l’activité mycorhizienne diminue beaucoup. Ceci correspond à une observation courante dans la nature : lorsqu’un organisme exerce une fonction et qu’il arrive que cette fonction soit réalisée sans passer par lui il a tendance à disparaître. Un autre exemple de ce phénomène : l’apport d’engrais azoté minéral provoque la raréfaction des bactéries du sol fixatrices de l’azote atmosphérique. Les fumures phosphatées paraissent les plus dangereuses pour l’activité mycorhizienne mais d’autres engrais, notamment azotés, exerceraient également un effet dépressif. L’action serait d’autant plus préjudiciable que la forme épandue est rapidement solubilisée dans le sol

    • laisser le sol nu souvent et longtemps : sol nu égale absence de plantes, égale absence de partenaires pour les champignons mycorhiziens qui disparaissent logiquement dans une terre ne portant aucune végétation pendant longtemps. De ce point de vue les travaux culturaux de déstockage visant à réduire la réserve de graines d’adventices du sol (souvent appelés à tort « faux semis ») sont dangereux pour les associations mycorhiziennes car ils combinent sols nus (pas de plantes hôtes) plus façons culturales (mycéliums brisés).
    • cultiver trop souvent des plantes qui ne mycorhizent pas ou peu ; le retour trop fréquent des crucifères (moutarde, colza, navette, radis, caméline, chou…), des betteraves, des bettes, des épinards… limite le développement des mycorhizes. Les envahissements d’adventices des mêmes familles botaniques (moutardes et radis sauvages, chénopodes.) Ont le même effet.

    Pour juste et intéressante qu’elle soit la mise en évidence de l’influence des végétaux non « mycorhigènes » mérite quelques nuances et un développement.

    Les travaux sur la question ne sont pas nombreux et leurs résultats très variables invitent à la prudence. Les observations que j’ai pu faire de mon côté me laissent parfois perplexe. Essayons tout de même d’y voir plus clair en prenant le cas des crucifères.

    Les crucifères fabriquent et diffusent dans la terre par leurs racines, lorsqu’elles sont vivantes ou par la décomposition de leurs tissus après leur mort, des composés appelés glucosinolates. Ces glucosinolates se dégradent en donnant des isothiocyanates. Passons sur la nature chimique de tous ces corps pour retenir qu’ils ont une action dépressive sur de nombreuses espèces de champignons du sol.

    Lorsque cet effet dépressif affecte des champignons pathogènes des cultures, comme le piétin échaudage des céréales ou Aphanomyces des pois, les crucifères sont des auxiliaires de l’agriculteur.

    Par contre elles le gênent si elles affectent les champignons des mycorhizes.

    En effet on peut considérer alors que non seulement elles appauvrissent le terrain en mycorhizes, puisqu’elles n’en forment pas elles-mêmes mais qu’en plus elles gênent les associations mycorhiziennes des autres végétaux par les composés toxiques qu’elles fabriquent et diffusent dans la terre. On peut alors s’attendre à des carences, notamment en phosphore, sur les cultures qui les suivent, qui leur sont associées ou qui en sont envahies (dans le cas des crucifères spontanées).

    Sombre tableau me direz vous. En fait il est contrasté et pas si noir que cela. Il me semble que l’on peut très schématiquement distinguer deux situations :

    • terrain « maigre », pauvre en phosphore disponible pour les plantes: la mycorhization est particulièrement utile pour assurer l’alimentation phosphatée des cultures. L’effet « anti mycorhigène » des crucifères risque alors d’être particulièrement gênant et de masquer le bénéfice de la restitution d’azote par la crucifère dont devrait profiter la culture.
    • Terrain riche en phosphore disponible pour les plantes. : la mycorhization est moins indispensable car les végétaux assurent facilement leur alimentation phosphatée. L’effet « anti mycorhigène » des crucifères est alors moins préjudiciable. L’effet de la restitution azotée par la crucifère s’exprime pleinement sans être limité par le niveau phosphaté du sol.

    On peut alors supposer qu’une culture de colza ou un engrais vert de moutarde vont être de moins mauvais précédents en terre riche en phosphore assimilable qu’en terre pauvre en cet élément. Ils peuvent même être un excellent précédent en terre riche en phosphore grâce à l’azote qu’ils restituent en quantité importante.

    Ceci se vérifie effectivement assez souvent sur le terrain mais pas toujours, pourquoi ? Parce que chaque situation est très complexe et met en jeu des facteurs qui se renforcent ou, au contraire, se contrecarrent les uns les autres.

    Dans le cas du terrain « maigre » en phosphore si la crucifère est abondamment et judicieusement fumée et les conditions climatiques favorables elle se développe convenablement. Son incorporation (complète dans le cas d’un engrais vert, partiel dans le cas d’une culture récoltée) apporte au sol une quantité importante d’éléments nutritifs (azote, phosphore, potassium, etc.) dont la culture profite largement. Résultat : l’effet « anti mycorhigène » est gommé par cet apport d’éléments nutritifs. La crucifère apparaît alors comme un bon précédent.

    Il arrive que la crucifère pénalise le démarrage de la culture qui la suit mais que le rendement final ne soit pas diminué.

    L’effet de la crucifère sur la culture varie selon qu’elle la précède (cas d’un engrais vert d’hiver de moutarde ou de colza avant un maïs), qu’elle y est associée (situation rare mais pas exclue ; exemples : caméline dans des pois ou dans du blé) ou qu’elle l’a envahie accidentellement (moutardes ou radis sauvages dans une céréale). Dans le premier cas la décomposition de la crucifère libère les produits gênants. Une fois cette décomposition terminée l’effet négatif disparaît. Dans le second cas la culture doit « cohabiter » avec la crucifère qui libère les composés toxiques par ses racines. Elle souffre tout au long de sa végétation. Les conséquences sont logiquement plus sévères. L’expérience montre que les envahissements importants de crucifères sauvages dans, par exemple, les céréales de printemps diminuent les rendements davantage que ce que pourrait laisser prévoir la concurrence apparente à l’œil.

    Mycorhizes (4)L’effet « anti mycorhigène » d’une crucifère engrais vert sur la culture suivante varie beaucoup selon la technique d’apport au sol et l’humidité ambiante. Logiquement : plus la décomposition est rapide et complète, plus les composés toxiques sont libérés et disparaissent rapidement et moins l’effet est visible et prolongé. Il l’est également d’autant moins que la décomposition de la crucifère engrais vert (ou des résidus de la culture de crucifère) a lieu longtemps avant la mise en place de la culture.

    Concrètement : débuter l’incorporation environ un mois avant la mise en place, par exemple, d’un maïs, est prudent ; conduire une décomposition graduée en effectuant deux à quatre façons culturales progressivement plus profondes.

    L’enterrage direct par le labour après broyage est tentant pour éloigner les produits toxiques de la plantule de la culture mais présente des inconvénients (décomposition dans un milieu insuffisamment aéré). Ces précautions étant prises l’effet « anti mycorhigène » est rarement préoccupant.

    Autre chose : les espèces et même les variétés de crucifères ne libèrent pas toutes les mêmes quantités et les mêmes types de glucosinolates. Cette libération semble même varier selon les lieux pour la même espèce ou la même variété !

    Proposer un classement est donc bien difficile.

    Diverses observations amèneraient tout de même à considérer que la moutarde noire est plus active que le colza d’hiver, lui-même plus actif que la moutarde blanche et le colza de printemps. Je préfère ne pas donner d’indications pour les autres espèces. L’activité serait maximale au moment de la floraison.

    Ne perdons pas de vue que les crucifères pourraient aussi exercer des effets allélopathiques (c’est-à-dire gênants pour les plantes voisines) non anti mycorhiziens. Ce qui complique encore la tâche.

    Certaines plantes comme l’avoine paraissent peu sensibles à l’effet toxique des crucifères.

    Cet éclairage sur un des côtés « agressifs » des crucifères ne doit pas nous faire oublier :

    • l’intérêt de ce côté agressif vis-à-vis des champignons pathogènes du sol
    • les qualités réelles des crucifères comme engrais verts (rapidité de végétation, capacité à « piéger » beaucoup d’éléments).

    Il nous montre simplement que, là comme ailleurs, nuances et réflexion s’imposent.

    Nous pouvons adopter une démarche du même genre vis-à-vis des autres plantes qui ne mycorhizent pas (betteraves, épinards…)

    Si on doit résumer cette démarche en deux mots : décomposition des tissus végétaux aérobie et suffisamment complète avant la mise en place de la culture suivante ; attention aux associations culturales comportant une plante non « mycorhigène ».

    Faciliter la mycorhization

    Mycorhizes (5)Tout ce qui concourt à rendre la rotation culturale plus continue, notamment la mise en place d’engrais verts intercalaires, facilite la mycorhization (sauf plantes non « mycorhigènes »).

    De même les façons culturales légères et progressives sont, nous l’avons vu, préférables aux interventions énergiques, surtout aux labours profonds.

    Les apports de matières organiques à bon rapport sucres/cellulose/azote convenablement mulchées facilitent le développement de tous les champignons auxiliaires vivant dans le sol, y compris celui des espèces mycorhiziennes.

    Le choix de végétaux n’ayant pas subi un travail de sélection trop poussé dans le sens du « productivisme » est souhaitable. Ils sont moins dépendants de l’utilisation des fumures élevées et des produits phytosanitaires et mycorhizent souvent mieux que les autres. Ceci se comprend assez aisément mais il s’agit là d’une observation générale à nuancer selon les variétés.

    Le praticien observateur peut se rendre compte par expérience que ces façons de travailler donnent les meilleurs résultats même s’il ne connaît pas le fonctionnement des associations mycorhiziennes ni même leur existence.

    Source : Joseph POUSSET

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