BIODOC 7 – Généraliser une agriculture écologique

  • agri bio pousset  Avec l’aimable autorisation de Joseph Pousset, nous partageons avec vous aujourd’hui la fiche BIODOC n°7 :

    Ils ont jeté leurs idées en l’air, très haut dans le ciel, puis ils se sont assis et les ont regardées voler avec légèreté dans l’azur bleuté du matin.

    Moi, le regard tourné vers la terre, je suis le chien qui suit la piste…

    (d’après une pensée de Lao Tseu)

    Généraliser une agriculture écologique : risque ou chance pour la sécurité alimentaire ?

    Lors des débats, conférences, discussions, émissions sur la culture biologique quelques questions récurrentes sont toujours posées, quelques idées toutes faites reviennent constamment. Citons le prix des produits considéré comme trop élevé pour le consommateur, la lutte contre les mauvaises herbes jugée impossible sans les herbicides chimiques ou encore le fait que lorsque les praticiens de la culture biologique obtiennent de bons résultats culturaux c’est grâce au fait qu’ils utilisent les « réserves » que les engrais chimiques ont accumulées dans le terrain avant la conversion de la ferme…

    J’ai même lu que « les cultures biologiques profitent [donc] des traitements effectués sur les parcelles d’agriculture conventionnelle qui empêchent notamment la diffusion de maladies. »

    Je me gaGénéraliser une agriculture écologique (1)rderai bien de traiter ces points de vue par le mépris car ils méritent discussion et apportent souvent des éléments de bon sens (au moins en apparence). Mais l’une de ces questions récurrentes à propos de l’agriculture biologique est la suivante : si on la généralisait à l’échelle du pays ou de la planète la population serait-elle alimentée correctement ? Cela revient à se demander si ses techniques sont capables de produire suffisamment pour nourrir tout le monde.

    Cette interrogation est fondamentale et il est rare qu’elle reçoive une réponse correcte. Les sceptiques et les détracteurs de la « bio » estiment certains qu’une généralisation de cette dernière serait une catastrophe aboutissant à une pénurie inévitable et généralisée. Ils étayent leur affirmation en citant les grandes famines du passé provoquées, selon eux, par l’efficacité insuffisante des pratiques agricoles anciennes auxquelles ils assimilent l’agriculture biologique.

    Un bon exemple est fourni par les propos d’un éditorialiste de la dernière grande revue agricole nationale, La France agricole. Il nous dit dans le numéro du 4 avril 2005 « Quant à ceux qui imaginent une agriculture sans produit de traitement, ils doivent expliquer comment assurer un approvisionnement alimentaire suffisant et pas cher pour la population mondiale. Même si la production bio peut à terme trouver sa place. »

    Il ne rejette pas la culture biologique (sans doute un marché de « niche »). Mais il semble tenir pour acquis et évident que ce type d’agriculture « sans produit de traitement » (ce qui n’est pas tout à fait exact) ne peut assurer la sécurité alimentaire. Il demande aux partisans « bios » d’« expliquer » mais lui-même n’apporte aucun élément de démonstration de son propre point de vue. La chose est supposée aller de soi. Cet exemple est intéressant car il révèle une attitude fréquente (et assez souvent de bonne foi).

    Les promoteurs d’une agriculture écologique estiment au contraire que sa généralisation entraînerait une augmentation de la production alimentaire à peu de frais dans les pays les plus pauvres et ne la diminuerait pas de façon préoccupante dans les nations industrielles. Autrement dit : ceux qui produisent actuellement trop de biens agricoles en produiraient encore suffisamment et ceux qui n’en récoltent pas assez deviendraient auto suffisants.

    1 Rapport d’information n° 1237 de l’Assemblée Nationale, novembre 2003 : Le Développement durable, réponse aux enjeux agricoles et environnementaux, page 132

    Le problème est que le plus souvent ils ne conduisent pas un raisonnement convaincant ou au moins étayé, objectif et construit.

    Résultat : chacun campe sur ses positions et ses convictions et repart de son côté sans remise en cause sérieuse.

    Pourquoi ? Peut-être par paresse intellectuelle et par rigidité idéologique ou par intérêt mais aussi parce qu’il est réellement difficile d’y voir clair dans cette affaire.

    L’importance capitale de l’interrogation sur la capacité ou non d’une agriculture écologique à nourrir la population exige pourtant qu’on réalise tous les efforts nécessaires et suffisants pou y apporter une réponse aussi claire et objective que possible.

    Être sincère et proche du réel

    La première condition pour avancer est évidemment de faire preuve d’une grande sincérité. Positions dictées par l’intérêt partisan, quel qu’il soit, ou par l’idéologie doctrinaire n’ont donc pas leur place ici.

    La seconde, tout aussi importante, est d’être réaliste. Il ne s’agit pas ici du réalisme au sens « politique » du mot, souvent synonyme de cynisme, d’immobilisme (« c’est comme cela, on n’y peut rien… ») et d’égoïsme mais d’une humble acceptation de la réalité des faits, même et surtout si ces derniers nous dérangent ou contredisent nos points de vue initiaux.

    Ainsi « armés » nous sommes prêts à « attaquer » le problème qui nous préoccupe.

    Adopter un mode de raisonnement simple et fiable

    Nous savons que « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément ». Bannissons donc les cheminements compliqués et en apparence savants compréhensibles par quelques initiés ou supposés tels. Leur complexité, accessible au spécialiste, ne sert parfois qu’à masquer aux yeux du plus grand nombre leur vide et leur peu d’utilité réelle.

    Partir des observations concrètes du terrain pour aboutir à une position globale me semble souvent plus sûr que l’inverse, surtout pour les questions qui nous concernent ici.

    Certes l’un n’exclut pas l’autre, il peut même y avoir complémentarité. On peut par exemple dire, comme nous allons le voir plus loin ; la population française a besoin de telle quantité d’énergie alimentaire. La culture biologique peut-elle la lui fournir ? Mais le risque, si on n’y prend pas garde, est alors d’aboutir à des solutions satisfaisantes sur le papier mais inapplicables dans la pratique : énergie suffisante mais aboutissant à une ration déséquilibrée ou à une rotation culturale inadaptée.

    Observer ce que la culture biologique produit réellement et calculer ce qu’elle donnerait à grande échelle me semble, dans un premier temps, moins périlleux.

    Généraliser une agriculture écologique (1)Dans le cas qui nous occupe il est aisé de dégager les éléments de base : les besoins réels en nourriture d’une part, la production permise dans nos champs par les techniques de la culture biologique d’autre part. Production totale elle-même sous la dépendance de la surface agricole disponible et des rendements par unité de surface. Chacun peut comprendre cela.

    Les besoins en nourriture des populations

    Les choses se compliquent déjà car définir les besoins alimentaires de nos contemporains suppose que l’on a un point de vue sur ce qu’ils doivent ou ne doivent pas manger. Quand on connaît la grande variété des « écoles » sur l’alimentation (végétariennes ou non, favorisant les fruits ou les céréales, prônant le régime « préhistorique » ou crétois, etc. etc.) on peut légitimement rester perplexe. Je prends ici le parti de ne pas mettre en avant ma propre opinion sur la question mais de partir tout bonnement du régime alimentaire actuel du français « moyen ». cela ne signifie absolument pas que je considère ce régime comme satisfaisant mais en opérant ainsi j’espère, naïvement peut-être, être mieux compris.

    Globalement je m’appuie sur les chiffres publiés par le Ministère de l’Agriculture et l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques.

    En 2004 l’augmentation de la consommation des produits transformés qui a débuté au début des années 1970 s’est poursuivie. Elle est un signe que l’industrialisation et l’« artificialisation » de l’alimentation des français se poursuivent. Les pommes de terre, par exemple, sont maintenant consommées pour moitié sous forme transformée (chips, frites surgelées, etc.). Le sucre est toujours bien présent (environ 35 kg par habitant et par an). La consommation de vin est en baisse. Celle des oranges augmente avec une forte proportion de produits transformé (jus = 88 %).

    Le tableau ci-après résume la consommation française des principaux produits d’origine végétale.

    Généraliser une agriculture écologique - tableaux (2)

    Champ : France y compris les Dom à partir de la campagne 1998-1999.

    Sources : AGRESTE, Douanes et EUROSTAT – Bilans d’approvisionnement

    Et la viande ?

    La consommation globale de viande du français « moyen » oscille autour de 90 à 100 kg par an. Elle serait en baisse à l’heure actuelle. Elle fait la part belle au porc (36 kg en 2002) alors que le mouton est peu présent (5 kg environ).

    Le tableau ci-dessous en donne les principales composantes :

    Généraliser une agriculture écologique - tableaux (1)

    Champ : France y compris les Dom à partir de 1996 pour la viande et les œufs , 1997 pour le lait Sources : AGRESTE – Bilans d’approvisionnement

    Précisons que les 27,7 kg de viande « bovine » indiqués dans le tableau comportent la viande de veau, environ 4,3 kg par habitant en 2004.

    Le « bœuf » (qui désigne également la viande de vache de réforme ou de génisse) représente donc 27,7 kg – 4,3 kg, soit 23,4 kg par habitant. Ce chiffre serait plus faible au moment où j’écris ces lignes et on peut raisonnablement « arrondir » à 23 kg.

    Les produits laitiers et les œufs

    Globalement leur consommation augmente, sauf celle du beurre qui a diminué de 6% au cours des 30 dernières années, période au cours de laquelle la consommation de certains produits laitiers transformés comme les yaourts aromatisés ou les dessers lactés frais a crû de plus de 200% !

    Voyez dans le tableau précédent l’évolution de la consommation française de produits laitiers et d’œufs.

    Notons que la France est un des pays d’Europe qui consomment le plus de produits alimentaires d’origine animale.

    Quel crédit accorder aux statistiques ?

    Mark Twain disait qu’il existait, par ordre d’importance, les mensonges ordinaires, les sacrés mensonges et les statistiques.

    C’est sans doute exagéré. Il est exact que certaines statistiques sont manipulées par des responsables politiques ou professionnels à leur avantage bien entendu. C’est le cas notamment pour les fameuses statistiques concernant la délinquance ou le chômage.

    Mais dans le cas qui nous occupe on peut supposer qu’elles ne sont pas « trafiquées » car elles ne concernent pas un domaine « sensible ». Le risque Généraliser une agriculture écologique (2)d’erreur existe pourtant bel et bien. On observe d’ailleurs parfois des différences pour la même donnée selon les sources. Pour la consommation de viande bovine, par exemple, j’ai trouvé des nombres différents.

    J’ai choisi les sources officielles et privilégié généralement celles défavorisant l’agriculture écologique.

    Qu’est-ce que le Français « moyen » ?

    Ici c’est tout simplement l’individu vivant en France dont la ration alimentaire est égale au total des divers aliments consommés dans notre pays divisé par le nombre d’habitants. Dans la réalité nous ne correspondons évidemment pas tous à ce Français moyen : certains mangent davantage, d’autres moins.

    Quels rendements en culture biologique ?

    Les partisans de la culture biologique surestiment souvent, me semble-t-il, les rendements moyens obtenus dans ce type de production. À l’inverse ses détracteurs les considèrent généralement plus faibles qu’ils sont réellement, jusqu’à la caricature quelquefois.

    Je vais m’appuyer volontairement sur des rendements moyens plutôt faibles pour conserver une marge de sécurité dans ma démonstration, exemples :

    • Blé (et céréales en général) : environ 30 quintaux/ha
    • Pommes de terre : 18 000 kg/ha
    • Tomates : 30 000 kg/ha
    • Vin : 40 hectolitres/ha
    • Fruits (pommes, oranges, bananes, poires, etc.) : environ 15 000 kg/ha
    • Sucre (betterave) : retenons 10 tonnes/ha

    Nous verrons plus loin d’autres estimations de rendements.

    Pour ce qui est des produits animaux, le rendement qui nous intéresse est celui que produit en une année un hectare de terre de qualité moyenne fournissant tous les aliments dont les animaux ont besoin.

    Pour ne pas alourdir le texte je ne présente pas les calculs et ne donne que les résultats :

    • Viande bovine (élevage allaitant à l’herbe) : environ 95 kg/ha
    • Viande de mouton : environ 120 kg/ha
    • Viande de porc : environ 600 kg/ha (alimentation des animaux essentiellement avec des céréales)
    • Viande de volaille : environ 400 kg/ha (poulets abattus vers 4 — 5 mois et nourris essentiellement avec des céréales)
    • Lait : environ 3 000 kg/ha
    • Œufs : environ 900 kg/ha (de céréales)

    N’oublions pas la transformation du lait en beurre et en fromages.

    Comptons :

    • 20 kg de lait pour 1 kg de beurre
    • 2,5 kg de lait pour 1 kg de fromage blanc
    • 1 kg de lait pour 1 kg de yaourt
    • 12 kg de lait pour 1 kg de fromage à pâte pressée

    Surface nécessaire pour produire la nourriture du français « moyen »

    Parvenus à ce stade nous pouvons avoir l’impression que le reste est facile. Nous connaissons en effet les besoins individuels de notre français en ce qui concerne les aliments courants. Nous avons une idée des rendements habituels de la culture biologique pour ces mêmes aliments. Il reste logiquement à confronter besoins et rendements pour déterminer les surfaces nécessaires à la production exigée.

    Généraliser une agriculture écologique (3)Nous déterminerons ensuite aisément, connaissant la surface agricole de la France, combien notre pays peut nourrir d’habitants…

    Et dans la foulée, pourquoi ne pas appliquer le même raisonnement à l’ensemble de la planète ?

    En fait nous verrons que les choses ne sont pas si simples mais allons y tout de même.

    terre fertile jospeh pousset (1)110 kg de céréales à 30 quintaux/ha sont produits sur 3,7 ares

    terre fertile jospeh pousset (1)48 kg de pommes de terre à 18 T/ha sont produits sur 0,07 are

    terre fertile jospeh pousset (1) 51 l de vin à 40 hl/ha sont produits sur 0,13 are

    terre fertile jospeh pousset (1) 12,5 kg de tomates à 30 T/ha sont produits sur 0,042 are

    54 kg d’oranges à 15 T/ha sont produits sur 0,36 are terre fertile jospeh pousset (1)13,5 kg de pommes à 15 T/ha sont produits sur 0,09 are

    terre fertile jospeh pousset (1) 34 kg de sucre à 10 T/ha sont produits sur 0,34 are

    Prenons aussi en compte d’autres denrées généralement moins consommées qui ne figurent pas dans le tableau : les carottes, les poireaux, les haricots verts, etc.

    Pour raccourcir je réunis les chiffres de la consommation par habitant (d’après des données de l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques), les rendements par hectare et les surfaces correspondantes nécessaires.

    terre fertile jospeh pousset (1)10 kg de carottes à 25 T/ha nécessitent 0,04 are

    terre fertile jospeh pousset (1)5,7 kg de poireaux à 50 T/ha nécessitent 0,011 are

    terre fertile jospeh pousset (1) 5,4 kg de laitues à 30 T/ha nécessitent 0,018 are

    terre fertile jospeh pousset (1) 8 kg de haricots verts à 5 T/ha exigent 0,16 are

    terre fertile jospeh pousset (1) 3,8 kg de choux-fleurs à 15 T/ha exigent 0,025 are

    terre fertile jospeh pousset (1) 2,9 kg de choux à pomme à 65 T/ha exigent 0,004 are

    terre fertile jospeh pousset (1) 2,8 kg d’oignons à 25 T/ha sont produits sur 0,01 are

    terre fertile jospeh pousset (1) 3 kg d’endives à 30 T/ha sont produits sur 0,01 are

    terre fertile jospeh pousset (1) 4,8 kg de fonds d’artichaut à 1,5 T/ha sont produits sur 0,32 are

    terre fertile jospeh pousset (1) 2,5 kg de betteraves rouges, radis, concombres exigent environ 0,01 are

    terre fertile jospeh pousset (1) 10 kg de bananes à 15 T/ha exigent environ 0,07 are

    la somme des surfaces nécessaires à la production des denrées considérées aboutit à un total de 5,50 ares.

    Il faudrait aussi tenir compte du café, du thé, des asperges (qui fournissent un rendement par hectare faible mais sont très peu consommés), etc. mais ce serait fastidieux et imprécis car les surfaces par habitant impliquées sont très faibles.

    J’adopte une marge de sécurité en considérant la surface nécessaire aux productions végétales à 6 ares. Bien entendu je n’ignore pas que le terroir français métropolitain ne peut produire bananes ou oranges. J’introduis ces denrées dans mes calculs pour estimer la capacité d’autosuffisance « écologique » de la surface agricole dont le pays dispose. Si certaines productions sont cultivées ailleurs pour des raisons climatiques cela libère des surfaces correspondantes pour obtenir autre chose sur le territoire national. Le raisonnement reste donc valable.

    Voyons maintenant ce qui est nécessaire pour les produits animaux.

    terre fertile jospeh pousset (1)3,63 kg de viande de porc à 600 kg/ha nécessitent 6 ares

    terre fertile jospeh pousset (1)23 kg de bœuf à 95 kg/ha nécessitent 24,2 ares

    terre fertile jospeh pousset (1)24,8 kg de volaille à 400 kg/ha exigent 6,2 ares

    terre fertile jospeh pousset (1)4,4 kg de viande de mouton et de chèvre à 120 kg/ha exigent 3,66 ares

    terre fertile jospeh pousset (1)pour les 7,9 kg d’autres viandes (cheval, lapin, etc.) estimons la surface nécessaire à 3 ares

    En ce qui concerne le lait voyons d’abord le nombre total de kilos consommés par habitant :

    • sous forme de lait de consommation (74,8 kg)…………………………….. 74,8 kg
    • sous forme de produits frais (35,8……………………. kg) environ………. 50,0 kg
    • sous forme de beurre (8,3 kg)…………………………………………………… 163,0 kg
    • sous forme de fromage (24,5 kg à pâte pressée ou non) environ…… 160,0 kg

    le total de lait mis en jeu est de………………………………………………………… 447,8   kg

    Ces 447,8 kg de lait à 3 000 kg/ha sont produits sur 15 ares.

    Total des surfaces apparentes nécessaires pour produire les denrées animales :

    6 a + 24,2 a + 6,2 a + 3,66 a + 3 a + 15 a = 56,06 ares Une mise au point s’impose concernant la production de viande bovine et celle de lait.

    Généraliser une agriculture écologique (5)Chacun sait en effet qu’une part importante de la viande dite de « bœuf » provient en fait des vaches laitières réformées. Les surfaces fourragères consacrées à la production laitière produisent donc aussi de la viande. Cela diminue d’autant les surfaces nécessaires directement consacrées à la production de viande bovine.

    Comment évaluer cet apport ?

    Supposons que le taux de renouvellement du troupeau laitier soit de 27 %. Cela signifie que chaque année un troupeau laitier de 100 vaches produit 27 vaches de réforme.

    Admettons par ailleurs une production laitière moyenne par vache de 4 500 litres par an, résultat courant en élevage laitier biologique.

    Nous savons que chaque français consomme 447,8 kg de lait par an.

    Cette quantité est produite par 447,8/4500 « 0,1 vache

    Ce dixième de vache (!) va donner (27×0, 1)/100 = 0,027 vache de réforme.

    Une vache de réforme fournit une carcasse de 320 kg environ qui elle-même donne 208 kg de viande (rendement de 65 %)

    0,027 vache donne 208 kg x 0,027 = 5,6 kg de viande

    Cela équivaut à économiser une certaine surface spécialisée en viande bovine de (100×5, 6)/95 “6 ares

    Cette surface passe donc de 24,2 ares à 18,2 ares et le total des surfaces pour produire les denrées animales devient 58,06 ares — 6 ares = 52,06 ares.

    Mais qu’en est-il du veau (4,3 kg) ?

    Actuellement, en agriculture classique, la quasi-totalité des veaux est élevée de manière industrielle et nourrie avec de la poudre de lait.

    En culture biologique les animaux sont élevés sous la mère ou au moins nourris avec du lait naturel.

    Ce lait est évidemment à ajouter au reste de la production laitière consommée par notre français.

    Un veau abattu à 200 kg de poids vif consomme environ 1 500 kg de lait pour produire une carcasse de 125 kg donnant 105 kg de viande.

    4,3 kg de viande de veau requièrent en conséquence 61 kg de lait.

    Avec 3 000 kg de lait par hectare la surface mobilisée est de (100 ares x 61)/3000 = 2,03 ares.

    Ces 2,03 ares s’ajoutent à nos 52,06 ares et on aboutit à un total de 54,09 ares.

    Au final 54,09 ares sont requis pour produire les denrées animales consommées par habitant en France en 2005.

    Je n’ai pas pris en compte les aliments provenant directement de milieux naturels (gibier, poissons…). Mais il n’est pas exclu que la généralisation d’une agriculture écologique améliore la productivité de ces milieux en les préservant mieux.

    Total des surfaces pour produire les denrées animales et végétales

    6 ares + 54,09 ares = 60,09 ares.

    Finalement 60,09 ares cultivés ‘biologiquement’ sont donc nécessaires pour assurer la ration alimentaire actuelle du français ‘moyen’.

    Mais il me paraît prudent de tenir compte de pertes inévitables lors de la récolte, du transport, du stockage, de la manutention, de la transformation et de la consommation des diverses denrées.

    Estimer ces pertes avec précision est bien difficile. Elles sont sans doute plus importantes pour les produits végétaux (fruits qui pourrissent, lots de farine mal conservés devenant impropres à la panification, pommes de terre dont on n’a pas convenablement supprimé les germes, etc., etc.) que pour les produits animaux.

    Admettons qu’elles portent sur 10 % des produits végétaux et 5 % des produits animaux. Les surfaces correspondantes doivent être augmentées d’autant.

    6 a + (6 a x 10 %) = 6,6 ares

    Surface nécessaire à l’obtention des produits animaux

    54,09 ares + (54,09 ares x 5 %) ‘56,8 ares

    Total 6,6 ares + 56,8 ares = 63,4 ares.

    On aboutit donc à un total final de 63,4 ares pour produire la ration actuelle du français ‘moyen’ en culture biologique.

    À propos de pertes

    D’après des études menées aux États Unis (Université de l’Arizona) la moitié de la nourriture produite dans ce pays finirait dans les poubelles.

    Les Américains jetteraient par exemple 14 % des plats préparés et la moitié des fruits et des légumes qu’ils achètent. Les aliments ainsi éliminés par les consommateurs représenteraient 200 kg par an et par foyer (4 personnes en moyenne).

    Généraliser une agriculture écologique (6)Par ailleurs le rebut de nourriture serait de 3 % dans les restaurants ordinaires, de 10 % dans la restauration rapide, de 26 % dans les magasins de détail, de 3 à 10 % dans l’industrie agroalimentaire.

    Certains agriculteurs ne seraient pas en reste : les producteurs d’agrumes de Floride jetteraient jusqu’à 29 % de leur récolte, les maraîchers de Californie 18 %.

    On reste perplexe devant ces chiffres mais même en admettant qu’ils soient exagérés, ce qui n’est pas certain, ils révèlent un gâchis aussi stupéfiant que choquant.

    En Europe le gaspillage de nourriture est sans doute moindre mais existe aussi.

    N’oublions pas que plus de 800 millions d’humains ne mangent pas à leur faim.

    Ces constatations démontrent une fois encore, s’il en était besoin, que les agricultures productivistes des sociétés industrielles ne sont pas aptes, du fait même de leur fonctionnement, à nourrir les affamés de la planète, contrairement aux apparences.

    Capacité nourricière du terroir français

    La France couvre à peu près 55 millions d’hectares dont environ 33 millions sont cultivés. Le reste est occupé par les forêts (14,4 millions d’hectares), par les zones urbanisées (plus de 2,5 millions d’hectares) et par des zones humides, milieux aquatiques, etc. (environ 5 millions d’hectares).

    Remarquons au passage que les surfaces « urbanisées » (au sens large du mot) progressent en France depuis plusieurs dizaines d’années. À l’heure actuelle elles représentent environ 5 % du territoire. Cette progression s’effectue surtout, selon l’Institut français de l’Environnement (IFEN), au détriment des zones cultivées et plus spécialement des prairies. On connaît le rôle de ces dernières, souvent associées aux arbres (bocage), contre le ruissellement excessif des eaux, les érosions diverses du sol et pour le maintien de la biodiversité.

    Réservons 3 millions d’hectares pour les cultures énergétiques ou des jachères ne fournissant aucune récolte alimentaire ou fourragère. Il nous reste 30 millions d’hectares.

    Si 63,4 ares nourrissent 1 habitant, 30 millions d’hectares en nourrissent 30 000 000/0,634 soit environ 47,3 millions.

    Et au niveau mondial ?

    La surface actuellement cultivée serait à peu près de 4,96 milliards d’hectares. Elle pourrait alimenter « biologiquement » Erreur ! soit plus de 7,8 milliards d’habitants recevant le régime alimentaire actuel du français « moyen ».

    Que penser de ces chiffres ?

    La France métropolitaine compte à peu près 58,6 millions d’habitants au moment où j’écris ces lignes.

    D’après les précédentes estimations la culture biologique généralisée sur le territoire métropolitain ne permettrait donc pas de fournir à la totalité de la population française le régime alimentaire actuel.

    Au niveau mondial elles montrent, au contraire, que l’on peut fournir ce régime à une population nettement supérieure à celle d’aujourd’hui.

    Rappelons que la ration alimentaire choisie est riche et comporte beaucoup de produits animaux dévoreurs de surface.

    En réduisant cette portion d’origine animale nous pouvons diminuer les surfaces consacrées à l’herbe et augmenter celles de céréales tout en conservant une proportion prairies/céréales satisfaisante sur les plans agronomique et écologique. On peut alors nourrir plus de monde.

    Une autre voie est évidemment de conserver la même ration et d’importer ce qui manque. Le commerce n’est pas interdit ! Mais nous sortons alors du cadre de l’autosuffisance dans lequel j’ai placé ma réflexion.

    Arrêtons-nous également un instant sur le bilan agroalimentaire actuel de notre pays.

    La France est considérée à juste titre comme un grand pays agricole exportateur notamment de céréales (plus de la moitié de la production, c’est-à-dire environ 35 millions de tonnes), mais aussi, autres exemples, de pommes de table ou de sucre.

    Mais il ne faut pas oublier qu’elle importe aussi des denrées, par exemple de la viande bovine (environ 13 000 tonnes en 2003), de la viande de mouton (plus de 100 000 tonnes en 2001), de la viande de veau (environ 37 000 tonnes en 2001)…

    Par ailleurs notons que le côté gourmand en surface des productions animales vaut également en culture classique. C’est particulièrement net dans le cas des élevages bovin ou ovin à l’herbe où on n’observe guère de différence avec la culture biologique.

    Généraliser une agriculture écologique (7)En un mot comme en cent : la culture classique industrielle obtient des rendements nettement plus élevés qu’une agriculture écologique pour certaines productions, notamment la céréaliculture. Mais son efficacité pour assurer l’autosuffisance alimentaire d’un pays comme la France, évidente au premier abord, n’est pas aussi nette qu’on peut le penser et mériterait une étude approfondie.

    Le doute à son égard s’accentue si on prend en compte sa dépendance à l’égard des énergies fossiles. Son rendement quantitatif est élevé mais son rendement énergétique (rapport entre l’énergie alimentaire récoltée et l’énergie fossile consommée) est parfois médiocre.

    Globalement les possibilités nourricières d’une agriculture écologique apparaissent donc bonnes et capables d’assurer la subsistance d’une population humaine nombreuse.

    Cela contredit les affirmations de M Josef Ertl, ancien ministre allemand de l’Agriculture qui déclarait en 1982 que l’extension d’une agriculture écologique serait une catastrophe pour 3 raisons au moins :

    • elle entraînerait une augmentation des prix qui pénaliserait les plus bas revenus
    • les ménages dépensant plus pour leur alimentation consommeraient moins les autres biens et services. Ceci entraînerait un ralentissement de l’activité économique et un fort accroissement du chômage
    • la diminution de la production agricole provoquerait une chute des exportations agricoles des pays riches vers les pays pauvres et donc une extension de la faim dans le monde.

    Vous me direz peut-être : ce point de vue date de plus de 20 ans. Les mentalités ont évolué depuis.

    Détrompez-vous : beaucoup de gens, notamment parmi les responsables politiques et agricoles, pensent encore la même chose ou presque, même s’ils ne le disent pas ouvertement.

    On a eu l’impression pendant les années venant de s’écouler que les principales organisations agricoles françaises étaient devenues assez favorables à la culture biologique. C’est pour une part une illusion due à 2 facteurs :

    • le secteur était rentable et toute activité qui rapporte de l’argent est « intéressante » pour certaines personnes. Je n’ignore évidemment pas que toute activité professionnelle doit faire vivre celui qui la pratique. Mais chacun comprendra que je dénonce l’opportunisme et le manque de motivation sincère.
    • le développement de la « bio » était (et reste d’ailleurs) souhaité par une large fraction de l’opinion et soutenu par divers organismes locaux, nationaux et internationaux. Il y a donc, là encore, de l’argent à récupérer pour promouvoir (ou faire semblant) les techniques agricoles écologiques.

    La production biologique française est actuellement en difficulté (relative) et donc moins attractive financièrement. Nous voyons bien que les principaux acteurs agricoles ne font pas grand-chose pour l’aider. Il serait intéressant de se demander pourquoi mais c’est un autre débat…

    Le résultat que nous obtenons contredit d’autant plus les propos de M Ertl que, encore une fois, le régime alimentaire choisi est très riche en produits animaux dont l’obtention exige beaucoup de surface. Les chiffres mettent cela en évidence de manière saisissante puisque la surface nécessaire aux produits animaux (56,8 ares) set environ 9 fois celle exigée par les produits végétaux (6,6 ares).

    Il est évident qu’une réduction significative de cette proportion de produits animaux permettrait de beaucoup augmenter le nombre d’humains que l’agriculture écologique peut nourrir.

    Manger moins de produits animaux, notamment de viandes diverses, ne présente aucun danger pour la santé. Au contraire puisque nous en consommons trop et que cela contribue à provoquer beaucoup de troubles (maladies cardiovasculaires, douleurs articulaires, troubles digestifs, obésité.).

    Manger moins de sucre et de produits sucrés serait également bienvenu et libérerait aussi de la surface pour produire autre chose (la culture des betteraves sucrières couvre à peu près 400 000 hectares en France).

    La rotation culturale produisant la ration choisie est-elle viable ?

    Oui, sans aucun doute car les surfaces produisant de la viande d’herbivore (bœuf, mouton, chèvre) sont très fortement dominantes et occupées par la prairie (permanente ou temporaire).

    Céréales, légumes et arbres fruitiers occupent une place modeste.

    Une rotation très satisfaisante de polyculture élevage dominé par la prairie est donc facile à mettre en place, pas de difficulté sur ce plan.

    La sécurité de la production est-elle suffisante ?

    Ne plus utiliser les pesticides de synthèse ne risque-t-il pas d’entraîner la possibilité de la destruction (dans les champs ou dans les entrepôts) d’une partie significative des récoltes qui deviendraient alors insuffisantes certaines années ?

    Généraliser une agriculture écologique (8)Ce risque n’est pas nul mais il est faible. Contrairement à une opinion courante, parasites et ravageurs sont moins virulents en culture biologique qu’en culture classique mais la mise en œuvre des pesticides masque le phénomène et fait même croire l’inverse.

    Par ailleurs les rendements moyens que j’ai pris comme références sont ceux qu’on observe dans la réalité. Ils prennent en compte la question des ravageurs et maladies des plantes.

    Enfin rien n’empêche de garder une réserve suffisante de pesticides pour faire face à une situation urgente et exceptionnelle en choisissant ceux dont le rapport efficacité/toxicité est le meilleur. Cela permettrait aussi de rassurer tous ceux qui craindraient une sorte de cataclysme phytosanitaire.

    D’autres tentatives

    Nous savons que les essais d’études objectives sur la capacité de l’agriculture écologique à nourrir les populations sont peu nombreux.

    Citons cependant celui intéressant de Jean Roger Mercier exposé dans son ouvrage Agriculture et énergie parue en 1978 aux Éditions Debard.

    L’auteur se base sur les besoins en énergie et en protéines de 60 millions de Français et calcule qu’ils pourraient être couverts par 21 millions de tonnes de blé, soit, sur 30 millions d’hectares, 700 kg/ha seulement.

    Il reconnaît que cette estimation n’a pas de sens car tous les Français ne sont pas végétariens et le rendement de la chaîne agroalimentaire n’est pas de 100 %.

    Mais il faudrait ajouter qu’elle n’a pas de sens non plus car on ne peut pas cultiver du blé tous les ans au même endroit, même des végétariens ne peuvent pas se nourrir que de blé, tous les terrains ne sont pas aptes à la culture du blé…

    Il introduit ensuite l’élevage dans son raisonnement et imagine une ration alimentaire où les protéines sont fournies à 50 % par des produits animaux (viandes diverses, lait, œufs) et à 50 % par des produits végétaux.

    Il chiffre à nouveau les besoins en énergie et en protéines des Français en admettant un rendement de la chaîne agroalimentaire de 50 % et en majorant les besoins protéiniques de 30 %. Il calcule la production totale d’énergie végétale primaire nécessaire pour nourrir les animaux d’une part et directement la population d’autre part.

    Le résultat est que les besoins totaux sont inférieurs de 20 % à l’énergie que l’agriculture française a produite au cours de la campagne agricole 1938 /1939 !

    L’auteur conclut que l’agriculture biologique généralisée à tout le territoire national pourrait facilement nourrir la population française au moment où son livre est paru (fin des années 1970). On pourrait ajouter : et aussi en 2005, puisqu’il table sur 60 millions d’habitants.

    Son analyse mériterait d’être reprise et approfondie. Pourquoi est-elle plus optimiste que la mienne ?

    Pour plusieurs raisons dont la principale est sans doute que j’ai choisi de prendre comme base la ration alimentaire réelle actuelle particulièrement variée, riche (souvent trop) et comportant beaucoup de viande. Nous savons que produire cette viande exige généralement beaucoup de surface.

    J’ai également pris comme références des rendements plutôt modestes.

    Par ailleurs une réflexion à partir d’une analyse énergétique globale est très utile mais il faut veiller à ce que ses conclusions soient applicables dans la pratique. Par exemple se poser la question : aboutit-on à une rotation culturale et à des pratiques agronomiques en général, viables sur le terrain ? Si ce n’est pas le cas la meilleure analyse qui soit est inapplicable.

    Généraliser une agriculture écologique (9)La ration alimentaire choisie doit elle aussi, bien sûr, être convenable à tous points de vue (richesse, équilibre, variété, goût.) Et pas seulement apporter énergie et protéines en quantités suffisantes.

    Jean Roger Mercier estime que les rendements de la culture biologique sont « en moyenne et au pire » inférieurs de 10 à 15 % à ceux de l’agriculture classique. L’affirmation est risquée car trop globale et sans doute trop optimiste. À la fin des années 1970 je pense par exemple que les rendements céréaliers moyens en culture biologique étaient inférieurs de 30 à 40 % à ceux, moyens également, de la culture classique.

    Malgré ces réserves la démarche proposée est utile et mérite approfondissement.

    À noter la remarque judicieuse de l’auteur à propos de l’argent devenu la seule référence pour caractériser la production agricole.

    Cette dernière n’est intéressante que si elle paie (et enrichis surtout le système technico-commercial). C’est en partie justifié mais l’excès dans ce sens a pour effet d’occulter l’utilité première des biens agricoles : nous nourrir convenablement.

    L’agriculture industrielle peut-elle nourrir le monde ?

    La question peut sembler saugrenue tellement les techniques agricoles actuelles nous ont habitués à des rendements régulièrement élevés.

    Beaucoup de responsables professionnels et politiques nous ont également assuré et nous assurent que l’industrialisation agricole était nécessaire pour assurer l’autonomie alimentaire de la France après la Seconde Guerre mondiale. Ils précisent qu’elle a parfaitement atteint son objectif et qu’il suffit maintenant d’en corriger les excès pour que tout aille pour le mieux ; place donc à l’agriculture « raisonnée ».

    L’observation attentive et objective des faits montre que les choses sont loin d’être aussi simples.

    Tout d’abord nous savons que les « performances » productives de l’agriculture industrielle reposent sur une utilisation importante des énergies fossiles (engrais azotés, machinisme). Énergies qui deviendront rares dans moins d’un siècle. L’impasse est donc assurée pour ce type d’agriculture et également pour la « croissance » trompeuse et nocive dont on nous rebat les oreilles, souvent au nom de l’emploi dont la situation ne s’améliore pas durablement malgré cette fameuse croissance.

    Et puis était-il vraiment justifié d’industrialiser ainsi l’agriculture pour que chaque français mange à sa faim sans que le pays dépende exagérément des importations alimentaires ?

    Non, sans doute, la recherche et la vulgarisation de techniques culturales plus « écologiques » (sans forcément correspondre au cahier des charges de la culture « biologique » actuelle) auraient suffi pour emplir notre assiette et moderniser les campagnes. La chute de l’emploi agricole et tous les autres graves inconvénients que nous connaissons auraient été ainsi évités ou fortement limités.

    Les raisons profondes de cette évolution dommageable sont certainement ailleurs : besoins de l’industrie en main d’œuvre, désir d’abaisser le coût (au moins apparent) de l’alimentation par tous les moyens, souci de transformer l’agriculture en machine exportatrice rapportant des devises, intérêt de l’agriculture comme débouché pour l’agrofourniture, nécessité de reconvertir les usines d’explosifs en fabriques d’engrais (paraît-il)…

    D’ailleurs la même évolution s’est produite dans les pays « développés » n’ayant pas connu la deuxième guerre mondiale sur leur territoire, parfois même plus tôt que chez nous (États-Unis, Australie, Canada, Nouvelle Zélande.).

    Cette affaire d’autonomie alimentaire, très souvent invoquée, apparaît donc davantage comme une tentative de justification a posteriori que comme une véritable explication sérieuse. Même si certaines personnes l’ont considérée comme un objectif louable à l’époque.

    Par ailleurs nous constatons que beaucoup de gens ne mangent pas à leur faim malgré l’industrialisation croissante des pratiques agricoles à travers le monde. Certes on peut invoquer, parfois malheureusement à juste titre, des raisons géostratégiques (guerres) empêchant les agriculteurs de travailler et les biens alimentaires de circuler.

    Mais là aussi une observation attentive montre que les causes provoquant ces désordres sont souvent reliées plus ou moins directement à l’industrialisation de l’agriculture.

    L’exemple le plus frappant est celui du pétrole : l’agriculture « moderne » a besoin de cette ressource dont la recherche de la possession entraîne beaucoup de graves conflits, souvent déguisés sous diverses raisons, par exemple l’intervention américaine en Irak. La pratique même de cette agriculture participe donc indirectement à l’extension des crises.

    En outre vouloir exporter dans les pays pauvres et généraliser à l’ensemble du monde les pratiques ayant augmenté les rendements agricoles chez nous est impossible : les ressources énergétiques (pétrole.) et minérales (phosphates.) de la terre n’y suffiraient pas ou seraient rapidement épuisées. N’oublions pas qu’à l’heure actuelle, en 2005, plus de 90 % des agriculteurs de la planète ne possèdent pas de tracteur et que beaucoup n’ont même pas d’animaux de trait !

    Quant à justifier les excédents agricoles des « riches » en prétendant qu’ils peuvent nourrir les « pauvres » : rares sont ceux qui osent maintenant exprimer ce point de vue assez courant au cours des années passées et sincères ou non selon les personnes. Chacun sait que les seconds n’ont pas les moyens financiers d’acheter les denrées produites par les premiers. En dehors des situations d’urgence les nantis ne donnent pas ou ne bradent pas leurs biens aux déshérités.

    Et quand ils le font parfois c’est plus souvent pour prendre des marchés et mettre en difficulté la paysannerie locale dont les produits sont alors trop chers, que pour aider leurs semblables.

    Dans nos pays industrialisés eux-mêmes une petite fraction de la population rencontre des difficultés financières pour se procurer une nourriture convenable, d’où l’action des restaurants du cœur, secours catholique, secours populaire, etc.

    Généraliser une agriculture écologique (10)On me rétorquera que la situation serait pire si on développait les pratiques agricoles « écologiques » puisque les denrées produites seraient plus chères.

    L’argument semble solide car les produits « biologiques » sont souvent plus coûteux que les autres.

    Mais un examen plus approfondi conduit à se rendre compte qu’en généralisant ces techniques les créations d’emplois seraient importantes et résorberaient le chômage. Les coûts de santé seraient moindres grâce à un environnement et une alimentation moins pathogènes. Sauvegarder la nature contribue, sauf cas particulier et parfois contrairement aux apparences immédiates, à résoudre les questions sociales.

    Si ces changements se produisaient dans une société suffisamment démocratique et pas trop inégalitaire chacun pourrait disposer d’un revenu lui permettant de se procurer suffisamment d’aliments d’excellente qualité.

    À condition toutefois qu’il accepte, en moyenne, de consacrer une plus grande part de son revenu à son alimentation. Ce qui constitue une révolution des mentalités peut-être difficile à faire advenir dans nos sociétés de loisirs, de voyages et d’activités parfois futiles mais coûteuses.

    Une population agricole insuffisante

    En France 3 % de la population active travaillent dans la production agricole, soit environ 900 000 personnes.

    C’est trop peu pour la pratique généralisée d’une bonne agriculture écologique. Comment un exploitant seul sur 100 ou 150 hectares ou même davantage peut-il s’occuper convenablement du boisement champêtre de sa ferme ?

    Il est alors tenté de le supprimer. Comment, dans ces mêmes conditions, peut-il effectuer quelques interventions manuelles, même limitées, contre les adventices ? L’herbicide lui apparaît alors comme la seule solution réaliste.

    Certes les agriculteurs « bios » prouvent qu’on peut faire autrement même dans le système économique actuel mais ils restent peu nombreux et leur motivation personnelle pour une agriculture écologique est supérieure à celle des autres producteurs (et de leurs concitoyens en général).

    L’évolution actuelle de l’économie conduit encore et toujours, en France comme ailleurs, à un agrandissement des exploitations agricoles qu’il est maintenant souvent justifié (et de bon ton) d’appeler entreprises agricoles.

    Dans ce contexte prôner une réduction de la surface des fermes et donc une augmentation de la population active agricole peut apparaître aux yeux de beaucoup comme une idée au mieux utopiste, au pire grotesque.

    Je pense pourtant que c’est la seule voie réaliste à moyen et à long terme. La seule qui permettra de généraliser les pratiques capables de faire face à la disparition progressive des énergies fossiles, de contrer l’augmentation des pollutions, la destruction des écosystèmes…

    Dans nos pays industriels des agriculteurs plus nombreux pour une agriculture plus respectueuse de la nature et de l’homme : quelle autre voie raisonnable possible ?

    Il me semble que si 10 à 15 % de la population active française travaillaient à produire notre alimentation l’abandon général des techniques agricoles polluantes, énergivores et destructrices serait aisé. Surtout avec les moyens modernes dont nous disposons, notamment pour sarcler mécaniquement.

    Cela supposerait bien sûr une politique adaptée des prix, autre débat.

    Dans les pays où la paysannerie est encore nombreuse l’idée est valable aussi mais les chemins sans doute différents.

    Les croissances illimitées sont dépourvues de sens et suicidaires

    Nous sommes habitués aux « croissances », en particulier celle du « niveau de vie » et de la population. Nous avons du mal à imaginer que ces croissances puissent s’arrêter ou s’inverser.

    Nous finissons par penser que la « croissance économique » est nécessaire pour réduire le chômage ou augmenter notre bonheur par la possession de biens plus nombreux.

    Ce sentiment est entretenu par la plupart des responsables politiques et professionnels et des « décideurs » en général.

    C’est pourtant bien illusoire : un minimum de biens matériels est nécessaire à chacun mais l’excès ne rend personne plus heureux. On observe même souvent l’inverse.

    C’est en tout cas très dangereux : cette croissance folle détruit les ressources de la planète et compromet notre avenir.

    Un nombre suffisant de nos concitoyens va-t-il s’en apercevoir et exercer une pression suffisante pour que les choses changent à temps ? Espérons-le mais ce n’est malheureusement pas certain.

    Nous savons aussi qu’une population humaine excessive est une impasse. L’agriculture est capable de nourrir convenablement beaucoup de monde mais il y a des limites.

    Dans ce domaine également une prise de conscience s’impose.

    En conclusion

    Le présent travail ne prétend pas apporter toute la vérité sur la question étudiée mais souhaite participer à se recherche. Je suis preneur de toute remarque ou contribution qui pourraient nous faire avancer.

    Il semble certain que les techniques agricoles « écologiques » dont l’agriculture biologique actuelle est le meilleur exemple peuvent nourrir une population nombreuse.

    Leur généralisation est à envisager sérieusement car les écosystèmes sont menacés et déjà altérés par l’agriculture industrielle. Elle exige un changement des mentalités.

    De nouvelles recherches bien ciblées sont et seront toujours utiles pour la faciliter mais nous possédons déjà suffisamment d’expérience et de connaissances pour qu’elle soit techniquement possible maintenant. C’est la volonté politique qui manque pour la réaliser.

    Elle serait également plus aisée si nos concitoyens, notamment les plus aisés mais pas seulement eux, remettaient en cause concrètement leur façon de vivre et tout particulièrement de s’alimenter.

    Une attitude plus rigoureuse moins idéologique et sectaire et plus proche du réel de certains praticiens ou défenseurs de la culture biologique améliorerait aussi probablement la situation.

    La nature possède de grandes facilités de récupération dont on ne doit tout de même pas abuser.

    Cette nature restaurée et respectée peut aussi nous offrir beaucoup d’aliments, notamment de poissons et de gibier. En Afrique par exemple protection de la nature plus chasse « raisonnée » permettraient de fournir de grandes quantités de viande.

    À chacun de réfléchir à cette nécessaire évolution qui doit nous inspirer espoir plutôt que crainte : pour beaucoup d’entre nous posséder moins peut signifier être mieux.

    REMERCIEMENTS

    La réalisation de cette étude a exigé de nombreux calculs pour lesquels j’ai dû réunir et traiter beaucoup de données chiffrées.

    Diverses personnes m’ont aidé à réunir ces données : Michel Adam (agriculteur retraité), Gérard Barbieri (éleveur de moutons), Gilles Lessieu (éleveur de bovins), Jean-Louis Murry (INSEE), Renée Oziel (Ministère de l’Agriculture), Jérôme Pavie (Institut de l’élevage), Christophe Renault (Chambre d’Agriculture de l’Orne), M. Rousseau (Comité interprofessionnel veau sous la mère), Pascal Sauvage (éleveur de porcs et de bovins), Gérard You (Institut de l’élevage).

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