• Permaculteur du mois de Mars 2015: Christophe Gatineau

    Voici notre interview du mois de mars.

    Cette fois, une discussion avec Christophe Gatineau.

    Vous trouverez le site internet de Christophe sur www.LeJardinVivant.fr.

    Pour l’aider à financer le projet d’édition de son prochain livre, et aussi éventuellement obtenir un exemplaire, suivez ce lien:

    Projet KissKissBankBank « La permaculture de 1978 à nos jours »

    Nous les avons soutenu. Faites comme nous! :)

    chistophe gatineauPermaculteur : bonjour Christophe Gatineau, nous voilà ensemble pour l’interview du permaculteur du mois, le mois de mars, bienvenue

    Christophe Gatineau: salut

    Permaculteur : tu te présentes toi-même comme un cultivateur mais es-tu aussi un permaculteur c’est ce que je voulais voir avec toi dans cette interview. Tu es aussi l’auteur d’un livre à propos de permaculture « aux sources de l’agriculture, la permaculture » et un 2e est en préparation je crois si on peut en parler.

    Christophe Gatineau: il est plus qu’en préparation si tu veux, ce sont les finitions et il part bientôt sous presse. Et il va s’appeler « la permaculture de 1978 à nos jours », c’est très contextualisé la permaculture, depuis sa naissance.

    Permaculteur : ce serait déjà un petit peu la suite et la continuité de ton premier, c’est ça ?

    Christophe Gatineau: pas un petit peu, complètement ! C’est même le volume 2 ! Sur le premier livre, je souhaitais contextualiser la permaculture par rapport à l’agriculture. Parce que la permaculture n’est pas tombée du ciel en fin de compte, et quand Bill Mollison a créé le mot en 1978, il a bien construit un système d’agriculture pérenne c’est même le sous-titre de mon premier livre. Après la permaculture a évoluée en 1988 mais au départ, on est bien sûr une réflexion d’agriculture permanente. Donc il est important de contextualiser les sources de la permaculture qui sont les sources de l’agriculture, dans un second volume je m’attache à l’évolution de la permaculture de 1978 à nos jours parce que c’est vrai qu’elle a évolué, et qu’aujourd’hui elle n’est pas que de l’agriculture permanente.

    Permaculteur : et qu’est-ce qui t’a poussé à écrire un livre sur la permaculture ? Sur ce sujet ?

    Christophe Gatineau: oh l’argent tu sais bien ! Ce qui m’a poussé à écrire un livre sur la permaculture c’est, comment dire, pendant très longtemps je suis resté très discret par rapport à ça, et puis j’en ai eu marre de lire tout un tas de bêtises, c’est vrai que Internet c’est un outil absolument génial, et il véhicule des choses intéressantes autant que de bêtises, et bizarrement, les bêtises ont tendance à proliférer plus vite que les choses correctes. Alors lorsque j’ai commencé à m’intéresser à la permaculture, j’ai dû me poser la question ce qu’était la permaculture. Et là autant de sites, autant d’avis, autant de personnes et malgré tout, un grand état de confusion .D’un côté on évoque un mode de pensée, d’un autre côté on évoque de la conception paysagère, d’autres évoquent l’agriculture permanente, voilà. C’est ce qui m’a poussé un petit peu à écrire pour débroussailler le terrain, compte tu arrives dans une friche, tu commences un peu à débroussailler pour voir les espèces que tu vas conserver. Donc le premier volume j’ai vraiment eu envie de le faire par rapport aux sources de la permaculture qui sont vraiment une réflexion par rapport à l’agriculture permanente et par rapport à la durabilité de l’agriculture, et en fin de compte derrière tout cela c’est l’avenir de l’espèce, pas de la nature mais bien de notre espèce. Simplement, voilà.

    Permaculteur : donc les gens qui pourraient avoir envie de lire ton livre auront une meilleure idée de ce que peut être la permaculture pour eux mais est-ce que ce sera plus clair ou est-ce que cela va repartir sur d’autres questions et cheminement de pensée. ?

    Christophe Gatineau: lorsque j’écris je cherche à adopter plusieurs points de vue, à créer des atmosphères et amener chacun à s’interroger sur soi-même. Je n’écris pas pour délivrer une vérité, surtout pas. Je veux simplement que les gens s’accaparent les écrits et réfléchissent sur leur propre comportement et leur propre relation à la terre en fin de compte. Il est tout à fait facile de s’accaparer une technique par contre avoir un vrai travail à l’intérieur de soi est beaucoup moins évident. S’interroger est important. S’interroger sur nos pensées, surtout sur nos actes et sur nos gestes parce que c’est vrai qu’en agriculture, en termes génériques car c’est vrai que tout à l’heure tu m’as dit que je me présentais comme un cultivateur et un permaculteur, mais un permaculteur est un cultivateur. On ne va pas jongler sur les mots.

    Permaculteur : mais pas que

    Christophe Gatineau: mais un cultivateur n’est pas qu’un cultivateur, qu’un agriculteur, je crois que c’est un peu la pensée unique qui relègue depuis des millénaires les paysans à l’image d’un abruti qui cultive la terre, laboure le sol, mais je ne suis pas d’accord, cultiver demande de la culture avant tout. Et on est tous victime de nos préjugés par rapport à l’agriculture. C’est vrai que l’agriculture a son lot d’abrutis mais comme la permaculture et les autres milieux en fin de compte. On a toujours la même quote-part d’abrutis, de barbares, de gens ouverts vers l’extérieur. Tout groupe humain en fin de compte se construit comme cela. Il n’y a pas de groupes humains qui seraient meilleurs que d’autres. C’est vrai que dans l’agriculture on a toujours tendance à stigmatiser les paysans. Je suis un grand défenseur des paysans. Si on met de côté les barbares qui sont extrêmement minoritaires, tout le monde fait de son mieux car personne ne veut nuire à l’avenir de l’espèce, chacun essaye de prendre soin de sa progéniture et des autres êtres humains. Il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui si toi et moi sommes en vie et pouvons échanger, c’est quand même malheureusement grâce à l’agriculture productiviste ce qui est quand même un comble. Ils produisent de la nourriture à court terme. Ils sont capables de nourrir 7 milliards d’individus mais pas longtemps. Et ça cela pose un réel problème en réalité car c’est tout à fait le contraire de la permanence. Alors quand on a des enfants et que l’on pense aux générations futures, on est obligé de penser différemment. Il ne faut pas oublier que Bill Molisson et tous les auteurs de cette époque-là, ont vu plus loin que leur nez. Je pense que c’est extrêmement important et c’est ce qui me motive aujourd’hui à écrire. Essayons de voir un peu plus loin que le bout de son nez mais ce n’est pas évident moi je m’entraîne.

    Permaculteur : OK mais qu’entends-tu alors par cultivateur ? Tu parles d’un art, cela ne s’apprend pas ? Cela s’apprend tout seul ? Quand j’ai un peu rencontré tes écrits et ce que tu dis, j’étais un petit peu perdu en me demandant comment faire et comment s’y retrouver là-dedans. Donc est-ce que tu pourrais un petit peu me dire comment toi tu fais pour cultiver cet art ?

    Christophe Gatineau: Bon, pour faire simple, je crois que la première erreur c’est celle qui a été colportée et qui nous a été ancrée comme un préjugé qui nous explique que cultiver c’est simple. D’ailleurs les paysans qui sont en bas de l’échelle sociale car on leur représente avec le cul en l’air et la tête dans la terre, s’ils cultivent c’est que ce n’est pas difficile. Et ça, c’est resté dans la tête des gens. Si tu fais de la mécanique, cela ne viendrait à personne l’idée d’aller faire un moteur de formule 1, on se dira que l’on n’a pas la compétence. Mais aujourd’hui tout le monde après avoir lu quelques écrits se sent une âme de cultivateur ou de permaculteur. C’est bien comme conviction mais la réalité est toute autre. C’est un vrai art où il y a de vraies connaissances, Et rien n’est acquis. Et si quelqu’un sur la terre connaissait la solution, on la saurait. Il y a en fait une multiplicité depuis des siècles, des revues et des recherches etc. on va dans des directions et on prend des orientations qui sont plus ou moins durables et on n’avance pas vraiment. Alors je voudrais revenir sur un point, et je plaisante un petit peu là-dessus car on me considère comme le spécialistes des agricultures innovantes mais que sont ces agricultures innovantes car derrière innovantes on va parler de permaculture, d’agro écologies, d’agroforesteries, mais la vraie agriculture innovante est l’agriculture productiviste. C’est ça en fin de compte l’innovation, cependant, c’est que sa durée est extrêmement limitée. Elle épuise très rapidement les ressources, on a déjà épuisé toutes les ressources. Donc c’est toujours assez rigolo si tu veux d’être considéré comme un spécialiste d’une spécialité contre laquelle je me bats. Parce que justement elle n’assure aucun avenir pour les générations futures. C’est le seul souci car en dehors de ça s’il n’y avait pas ce problème-là, car aujourd’hui l’agriculture productiviste arrive à nourrir les populations avec des pesticides, des molécules chimiques, etc. mais elle produit des quantités de nourriture. Ce que sont incapables de faire les autres agricultures en fin de compte. Donc ce qui est intéressant dans la permaculture et l’agroécologie, d’un point de vue strictement agricole c’est-à-dire production de nourriture, on s’arrête à ce niveau-là, c’est cette permanence, c’est-à-dire le respect des cycles de la nature. Respecter le cycle de l’eau et tous les cycles en général. Respect du vivant, respect de la biosphère. C’est un peu le point commun je dirais de toutes ces autres agricultures qui se sont basées sur les connaissances du passé et ont ajouté de nouvelles connaissances. Je reviens sur ce que tu disais tout à l’heure. Un art : que je n’ai pas inventé car je n’invente rien en fin de compte, je travaille à partir d’écrits etc. L’agriculture était considérée comme un art jusqu’au XIXe siècle. Qu’est-ce qu’un art ? Alors je vais prendre l’exemple de la peinture. Si tu veux apprendre la peinture, tu peux apprendre la peinture en bâtiment, tu vas aller dans une école ou dans une entreprise qui va t’apprendre la peinture. Tu vas apprendre les couleurs, et les pinceaux et tu peindras un bâtiment. Aujourd’hui, on apprend l’agriculture comme ça et on apprend même la permaculture comme ça. Après tu peux avoir une sensibilité à la peinture, il y aura des bons peintres en bâtiments qui sauront marier les couleurs etc. mais dans une école, on n’apprend pas à être un Léonard de Vinci, ni un Picasso etc. l’agriculture c’est à ce niveau-là. Je prends le terme agriculture ce qui est regrettable mais bon c’est le terme générique, général. Au XVIIe siècle, et ça c’est extrêmement important, on considère l’agriculture comme un art, l’art de cultiver la terre dépasse largement le fait de cultiver le sol car c’est extrêmement réducteur, c’est prendre conscience de la nature et de la biosphère, l’agriculture est le premier des arts avant la peinture. On considère la peinture comme un art majeur mais on considère l’agriculture avant. Tellement il n’est pas simple de cultiver.

    Permaculteur : c’était déjà un art global c’est ça que tu veux dire aussi, c’est qu’il faut tout prendre en compte en fait.

    Christophe Gatineau: voilà, on ne peut pas ne pas prendre en compte. L’agriculture productiviste a fait s’exonérer du vivant. C’est une erreur. Il faut prendre en compte la biosphère. C’est une erreur regrettable pour les générations futures. Il vaut mieux en ricaner de toute façon car c’est quand même à pleurer l’histoire en fait, pour ceux qui vont nous suivre.

    Permaculteur : bien sûr. Et toi alors comment pratiques-tu ta permaculture, ton agriculture ? Tu cultives pour ta famille, pour faire des recherches, qu’est-ce qui te passionne toi là-dedans ?

    Christophe Gatineau: ce qui me passionne déjà si tu veux c’est que c’est pour manger. Mais la passion dépasse largement cela. J’ai toujours été passionné si tu veux par la culture. Je suis issu d’une famille de culs terreux vraiment d’un côté comme de l’autre. Il n’y a pas de souci là-dessus. Et puis avec tous les travers, de terriens bien fermés et absolument incultes. Je crois que la culture est quelque chose de très ingrat quelque part, lorsque j’étais gamin, on binait des champs de betteraves, je rêvais que mon père soit un ouvrier et que l’on parte en vacances et que j’aille m’amuser à la place tu comprends ? Ce n’est absolument pas réjouissant. Après il y a d’autres côtés beaucoup plus intéressants mais cela a probablement éveillé des choses en moi. La terre fait partie de moi. Je ne fais pas de distinction entre la terre et moi. Je prends souvent cet exemple qui choque les gens : nous en tant qu’individus n’avons pas plus d’importance qu’un ver de terre. Et je crois que un de nos travers aujourd’hui c’est de penser en termes d’individualité alors que nous sommes des êtres sociaux. Je regardais il y a quelques jours un documentaire, excellent sur les fourmis où les chercheurs essayaient de démontrer qu’une fourmi n’avait aucune intelligence mais que c’était une intelligence globale. C’est une question d’organisation. Mais nous, c’est exactement pareil. Faut arrêter quoi ! Alors il y en a qui pensent être plus que les autres mais c’est une erreur. Ce sont des déviances. C’est l’organisme humain qui peut être intelligent pas un individu seul. Selon n’existe pas en fait. Tu prends un homme et tu le balances au milieu de la jungle, « crok crok » et puis c’est terminé !

    Photo : Diarmid COURREGES.

    Photo : Diarmid COURREGES.

    Permaculteur : donc toi tu ne pratiques pas de méthode, tu ne pratiques pas de design, de quelque chose de récent comme l’on parle en ce moment lorsque l’on parle de permaculture. Tu ne fais pas ça toi ?

    Christophe Gatineau: c’est tout à fait intéressant ce que tu poses comme question. Qu’est-ce que le design ? Est-ce que le design c’est simplement faire des formes dans la nature ? Évidemment non ! Alors si tu me demandes si je pratique le design la réponse est oui parce que je pratique l’art en tant que photographe, en tant que réalisateur etc. je suis passionné par l’esthétique ! Donc forcément dans mon jardin il y a des lignes, il y a des choses. Il y a un designer qui est venu visiter mon jardin et il l’a trouvé bien. Par contre voilà, je ne l’ai pas fait exprès c’est comme ça. C’est assez étonnant d’ailleurs, même chez des paysans classiques conventionnels, de voir que des fois… moi j’ai vu un gars qui n’était absolument pas intéressé par l’art et la culture, il collectionnait les pierres, il ramassait les pierres et en fonction de leur forme, ils les mettaient au bout de son champ et c’était magnifique ! Est-ce que je pratique une méthode ? Ma méthode est que je puisse récolter pour me nourrir. Donc pendant des années lorsque j’avais mes enfants à charge, tout ce que l’on mangeait, on le produisait. Mais à l’époque je ne m’intéressais pas à la permaculture. Mais je n’achetais rien. Aucun compost, aucun fumier, on travaillait vraiment sur l’écosystème. C’est bizarre parce qu’à l’époque je ne pensais pas en tant qu’écosystème mais je travaillais déjà dessus. Parce que je suis né dans une ferme en fait, où on n’achetait rien. Tout devait être produit sur la ferme. Quand tu es gamin, c’est pas si rigolo que ça. Quand tu as besoin de quelque chose, ben non, tu le fais ! Si tu veux c’est là la différence entre la conviction et la réalité, d’un côté c’est bien car le petit tu dis qu’il a besoin de quelque chose et tu lui dis fait le, mais quand tu es gamin tu le vois vraiment différemment je te promets. Donc j’ai une orientation, mais je n’ai pas de méthode. Puis les méthodes évoluent avec le temps. Si tu devais reproduire comme le fait un perroquet, tu t’appuies sur des connaissances, sur des méthodes et des techniques mais comme d’habitude en fin de compte. Tu prends pied sur quelque chose mais ces choses-là ne doivent pas être statiques. Surtout pas ! C’est aller la tête vers le mur. Et puis tu fais en fonction, moi j’ai eu des terres assez différentes, je n’ai pas fait exprès mais j’ai eu de la chance de tomber toujours sur d’excellentes terres. Des terres très profondes, là j’en ai une qui est argileuse, elle est ingrate et difficile mais elle est géniale ! Donc si tu n’aimes pas la terre où tu cultives et bien tu déménages tu vas ailleurs. Souvent les gens lorsqu’ils ont des échecs, quand ils ne récoltent pas, c’est la faute des autres, mais c’est de ta faute en fait il n’y a pas de souci c’est une erreur. Dans mon prochain livre, il va y avoir une post- facière qui va intervenir mais je ne peux pas encore citer son nom, et elle termine, c’est quelqu’un de connu et reconnu, qui dit que « les erreurs sont souhaitables en agriculture ». C’est sur nos propres erreurs que l’on va évoluer en fin de compte. Alors c’est sûr que, c’est un peu le souci aujourd’hui, de rencontrer des gens avec beaucoup de certitude. L’agriculture productiviste a énormément de certitude par exemple. Les choses sont comme ça et c’est définitif. On rencontre aussi ça en culture biologique il y a beaucoup d’intégrisme dans la culture biologique. Donc on a tous en fin de compte des choses à partager et échanger. Si tu fais tomber le mur de certitude, tu t’aperçois en tant que cultivateur, que tu cultives la terre pour te nourrir et pas seulement. Tu évolues, tu vas passer par certains stades. Et plus tu te laisses faire, je n’aime pas ses mots, mais les choses viennent à toi et vont dans le bon sens. C’est une sorte de sensibilité la culture.

    Permaculteur : est-ce que tu es aussi dans une démarche qui tend vers l’énergétique, parce que la permaculture c’est aussi l’alimentation, le chauffage, l’eau etc. Est-ce que tu fais ça aussi ?

    Christophe Gatineau: pas trop en ce moment, enfin c’est compliqué, je suis très économe en énergie. Tu sais que lorsque nous discutons sur Internet, nos images transitent via les États-Unis, l’utilisation des mails et d’Internet est extrêmement énergivore et aux États-Unis c’est la destruction de montagnes de charbon juste pour refroidir ces machines en fin de compte, les centrales, je ne sais plus comment on appelle cela mais c’est là où il y a les serveurs.

    Permaculteur : que faire ? Je ne vais pas arrêter d’utiliser Internet non plus, pour moins polluer mais bon… et donc justement cela nous mène à notre prochaine question, comment vois-tu le monde plus tard par exemple dans 20 ans ? Penses-tu que ce concept de permaculture a de l’avenir ? Crois-tu que ces idées remises en question pourraient apporter un changement positif global un jour peut-être ? Parce que tu dis dans ton livre que « le changement est impossible sauf s’il nous impose et qu’il nous contraint ». Nous arrivons donc bien pour moi, dans une situation globale qui va forcément devoir provoquer des changements. Mais lesquels ? Dis-moi un petit peu comment tu vois ça si tu crois qu’un « changement positif » est possible.

    Christophe Gatineau: tu me demandes d’être un visionnaire en fait

    Permaculteur : non je te demande ton avis car tout le monde a un avis

    Christophe Gatineau: mon avis n’a pas beaucoup de sens en fait. Comment aurais-je pu projeter ? Comment aurions-nous pu projeter ? Je parle en France. Comment aurions-nous pu projeter il y a 20 ans qu’aujourd’hui le Front National, c’est-à-dire un parti radical, dangereux, raciste, soit le premier parti politique en France aujourd’hui ? Autour de moi les gens se lâchent, on reparle de camps de concentration, pour des personnes d’une certaine minorité, d’une manière presque humaniste. Aurions-nous pu imaginer dans certains pays du Moyen-Orient ce qui se passe aujourd’hui ? C’est vrai qu’à une époque j’étais en Inde, j’ai pas mal circulé on est allé notamment dans le nord, l’Afghanistan, on a passé pas mal de temps là-bas et 20 ans après j’ouvre une revue et j’apprends que la ville a été détruite. L’Afghanistan qui était un pays superbe, avec tous les gens qui l’ont traversé à pied car c’est vrai que dans les années 70 les gens allaient de l’Afghanistan au Pakistan etc. quand on voit ce qui règne là-bas, le seul recul que j’ai si tu veux c’est que je vais avoir 54 ans donc j’ai à peu près 50 ans de recul si tu veux. On pensait être sorti avec la guerre de 45 on s’éloignait du barbarisme pour revenir sur une société plus humaine et on est encore en train de basculer. Alors c’est vrai que moi j’ai mon regard de blanc parce que si tu vas en Afrique on a continué à les exploiter, belges, français etc. on vit grassement car on a dégraissé l’Afrique et dégraissé l’Asie il ne faut pas oublier en fin de compte qu’on peut communiquer entre nous car on les exploite en fait il faut quand même être franc par rapport à ça. Quel avenir pour la Terre ? Je n’ai aucun espoir pour l’espèce humaine. On est vraiment une bande d’abrutis, dégénérés, et moi je me comprends dans le lot, je ne suis pas meilleur que les autres, attention. Je parle bien en tant qu’espèce. Après la terre va s’en remettre. On s’est trompé. Le temps de régénération de la terre est extrêmement élevé, ça va peut-être prendre 1 million ou 2 millions d’années si tu veux et nous n’avons pas la même horloge donc nous nous sommes trompés. L’avenir je le vois très noir, mais je ne vois pas bien en fait. Je ne vois aucun signe, je pense que l’être humain est un gros malade, vraiment je reprends l’expression de mes fils, on est tous des gros malades. Cela ne s’arrange pas. Dernièrement j’ai interviewé un designer qui me disait qu’il faudrait qu’on trouve un bon médecin mais j’en connais pas en fait.

    Permaculteur : ben oui c’est vrai que c’est difficile. Beaucoup sont dangereux même si on ne peut pas faire de généralités. Alors du coup est-ce que cela vaut la peine de faire des efforts ? Car ici il y a beaucoup de gens qui se mettent à la permaculture ou qui ont de nombreux projets de vie, qui ont envie de faire mieux, car on se dit que si chacun fait sa part, il y aura une majorité de gens qui l’auront faite individuellement, je ne sais pas. Est-ce que pour toi cela vaut encore la peine de toute façon, ou est-ce que tu aurais un conseil à donner aux gens qui seraient justement dans cette démarche-là de tout changer pour créer un Nouveau Monde, un monde meilleur etc. ?

    Christophe Gatineau: oui, et bien tu sais que le premier conseil que je donnerais si tu veux c’est de ne pas en donner. Le second conseil, dans les années cent 70 car je suis arrivé pendant les années hippies, c’était exactement les mêmes projets avec cette idée qu’on allait révolutionner le monde. Il y avait des projets de prendre position, des départements, et de changer, de vivre sans loi, sans police, etc. libre ! Et ça été fait. Il faut voir ce que sont devenus ces projets.

    Permaculteur : cela n’a pas été dans cette idée-là ?

    Volume 2 – 2015 – ISBN 978-2-9539489-1-2

    Volume 2 – 2015 – ISBN 978-2-9539489-1-2

    Christophe Gatineau: si mais c’est d’une tristesse ! Ceci étant, tu parlais de courage et d’effort, la permaculture il ne faut pas faire d’efforts. Si tu fais un effort pour faire quelque chose, change ! On n’est pas ici sur la terre pour faire des efforts et pour souffrir. Quand on pratique la permaculture ou que l’on est dans cette dynamique-là, où cette orientation-là, on n’est pas là pour souffrir. C’est une connerie. Il faut faire ce que tu as envie de faire. Moi je me sens bien. Je ne suis jamais allé vers la permaculture mais je me suis aperçu que j’étais dans cet esprit. Ce qui est totalement différent. Il y a beaucoup de gens qui sont dans cette dynamique-là. On ne se revendique pas si tu veux ce n’est pas un étendard, ce n’est pas une idéologie. À un moment donné on reconnaît avoir cette sensibilité-là simplement. Et le premier point de la permaculture, c’est ce que je reprocherais peut-être ce que cela doit être une démarche empathique, qui prend en considération les autres. C’est ce qui manque en fait. Un prédateur n’a aucune démarche empathique envers sa proie. Je pense que nous sommes tous devenus des prédateurs. Dans un groupe, ce sont les prédateurs qui dominent. Pour moi les prédateurs sont les hommes politiques évidemment. Ce sont ceux qui savent ce qui serait bien pour nous. C’est extraordinaire ! Alors moi si tu veux je vois juste le résultat. Je ne suis pas là pour juger mais après 50 ans de recul je vois simplement une chose : les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres. Et on se dirige vers une société humaniste. Ce n’est pas mon idée de l’humanité. Alors est-ce qu’il faut ? Bien sûr il faut ! Le changement, ce n’est pas le monde qu’il faut changer, c’est nous qu’il faut changer. Accepter le monde comme il est. De toute façon on ne changera pas les autres. On est incapable de se changer. C’est une belle œuvre de se changer. Si tu arrives à l’article de la mort en ayant vraiment les changements à l’intérieur de toi, quand je parle de changement je parle de passer d’un conditionnement à un autre conditionnement. Se déconditionner est super dur. Et quand on arrive à ça, accepter le monde comme il est, la terre tournera toujours autour du Soleil elle n’a pas besoin de nous. Il ne faut pas se croire plus important que l’on est. Parce qu’on est rien. Et si on part de ce postulat là que nous ne sommes rien, on ne peut qu’aspirer à devenir quelque chose. Quelque chose de bien. Je crois que souvent il y a cette démarche d’idées politiques qui dit qu’on va changer le monde de force. J’ai entendu des jeunes dire qui allaient changer le monde, le changer de force. Mais cela s’appelle une dictature. Moi je refuse ! Je refuse que tu me changes. D’ailleurs c’est à toi de changer et d’accepter ce que je suis avant de vouloir me changer moi. Tous les dictateurs pensent avoir la solution. Cette idée de vouloir changer de force le monde, je crois que c’est une mauvaise idée. Mais cela ne t’empêche pas de pratiquer la permaculture, d’être ouvert sur les autres et surtout d’avoir une démarche empathique. Et une démarche empathique c’est l’acceptation de toutes les idées en même temps. Je dirais que je place la biodiversité au-delà des espèces. C’est le respect de toutes les idées et là on a du travail !

    Permaculteur : et quand on est en groupe c’est toujours plus difficile. On ne serait jamais tous d’accord De toute façon. Merci donc pour cette interview, est-ce que tu as des choses à proposer, est-ce que les gens peuvent te rencontrer, est-ce que tu as un site Internet ?

    Christophe Gatineau: Le site internet c’est www.lejardinvivant.fr ce sont des articles, de vrais articles. Je n’aime pas parler de mon cheval de bataille mais j’en ai quelques-uns comme l’eau par exemple. Je trouve que l’eau était un élément de fertilité essentiel en agriculture et en permaculture il est totalement oublié. J’en ai un autre qui est l’urine, toutes les déjections humaines. Ce sont des facteurs de fertilisations qui sont complètement délaissées. Je travaille sur un article qui va être publié d’ici un mois sur la pomme de terre et toutes les idées reçues que l’on peut avoir sur la pomme de terre. Tu vois je suis allé dans un centre de sélection de pommes de terre, j’ai rencontré un des quatre sélectionneurs en France, et en Belgique et en Afrique sélectionnent les pommes de terre qu’on mange. Il m’a expliqué plein de choses sur la pomme de terre je me suis aperçu que j’avais tout faux ! On n’y connaît vraiment rien en pommes de terre et c’est pourtant une des bases de notre alimentation. C’est un légume formidable et c’est peut-être là-dessus que je voudrais terminer, je crois que les grandes innovations de l’agriculture ont été faites en Chine au Moyen-Orient et surtout en Amérique. Il y a parfois des milliers d’années et sans aucune connaissance de la cellule. Sans aucune connaissance de la matière atomique, sans livres, ils ont réussi à faire ce que nous faisons, de la sélection génétique naturelle. Aujourd’hui 95 % de ce que nous avons dans nos assiettes vient d’Amérique et de ces peuples qui étaient de vrais chercheurs. Il faut savoir que sur la pomme de terre, ils ont réussi à sélectionner cette plante sauvage et à l’acclimater de zéro à 4000 m d’altitude. Aujourd’hui, même avec les OGM on est incapable de faire ça. C’est là que l’on doit s’interroger sur notre propre connaissance et notre propre savoir. Ce serait bien que toi qui a lu mon livre, tu nous donnes un petit retour en direct puisque j’aborde le savoir-faire indigène dans mon second livre. Dans mon second livre qui est composé de trois parties, il y a une partie consacrée au savoir aborigène et amérindien. Il faut savoir que même Bill Mollison s’est appuyé sur ses savoirs anciens.

    Permaculteur : j’ai beaucoup apprécié ton livre parce que ça permettait de réfléchir de nouveau à tout et de remettre en question la différence entre l’utopie et la réalité. Moi-même sur mon terrain, je suis sorti de mon stage de permaculture, le PDC, tout enthousiaste, et puis j’ai eu un terrain où l’on a commencé tout un tas de choses etc. et cela était beaucoup plus dur que prévu. Donc en effet j’ai eu tout un tas de déconvenues, c’est vrai qu’il y a une partie de rêve et que tout n’est pas toujours possible, on ne sait pas toujours faire des miracles avec le climat de l’endroit où l’on vit, c’était vraiment très intéressant. Donc je suggère vraiment à ceux qui ont envie de définir un peu mieux ce que pourrait être la permaculture pour eux de lire ton livre. Je voulais juste te demander pour le deuxième, tu as lancé une demande de financement participatif, je pourrais peut-être donner l’adresse ici.

    Christophe Gatineau: ce n’est pas moi, c’est l’éditeur qui a lancé une campagne pour soutenir le livre et le financer. L’association refusait de financer pour être totalement libre, les kiss kiss bankers, comme l’on dit sont en train de soutenir cette édition. Le premier a été édité à un prix de 12 € qui est quand même très abordable. Celui-ci est en train d’être étudié mais il sera certainement un peu plus important on va essayer d’être autour des 15 € ce qui permettrait d’avoir des livres à des prix très abordables parce que comme tu as pu le remarquer il y a des travaux de recherches qui sont publiés, il y a matière à réflexion. Car c’est quand même l’objet de ces livres, ce sont des matières à débat et à réflexion. C’est intéressant parce que les gens disent qu’ils ne  sont pas d’accord avec tel ou tel point mais en accord avec d’autres. L’idée est de ne pas donner des livres de techniques bien que le prochain soit entièrement consacré à la technique car j’ai eu beaucoup de demandes par rapport à cela. Ce sont des réflexions par rapport à des techniques très précises. Et moi lorsque j’écris, cela me permet de prendre du recul par rapport à mes propres orientations.

    Permaculteur : je vais terminer avec le slogan de ton site le jardin vivant que j’ai beaucoup apprécié : « jardinez naturel, sans pesticide, sans argent et sans vous prendre la tête ». Merci beaucoup Christophe pour cette interview et on se retrouve tous très bientôt sur permaculteurs.com

    Christophe Gatineau: Salut !

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    Voici la liste des interviews passées:

     

     

     

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  • Vos commentaires

      • papijef

        papijef -

        le mot permaculture n'a pas été inventé par Mollison ! http://fr.wikipedia.org/wiki/Permaculture#Origine_du_mot
        bon, je ferai un petit article plutôt que de répondre sur un commentaire.

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      Christophe G -

      Papijef,

      Le mot est un mot valise inventé par Mollison à partir des mots : permanent agriculture.

      Bien à vous

    • Fabienne M

      Fabienne M -

      ça fait du bien d'entendre des gens comme vous ! Merci d'exister et de le partager.
      Fabienne M

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      Christophe G -

      Fabienne,

      Merci à vous,

      Votre retour fait aussi du bien,
      d’autant qu'un dialogue en direct et sans coupure
      contient aussi les inconvénients (tropdeblablabla...) de ses avantages...

      Bien à vous

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      roy -

      Merci christophe de nous avoir offert ton point de vue, merci Eric d'être allé le chercher !

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        Christophe G -

        Merci à toi Roy,

        Tu sais parler, c'est très facile.
        Agir, c'est autre chose.

        À Sivens, les jeunes se battent pacifiquement pour une noble cause. J'en ai rencontré, et ils ont des couilles comme on dit.

        C'est grâce à eux que nous savons.

        Beaucoup de permaculteurs veulent changer le monde... Mais combien sont-ils à Sivens comme à Notre-Dame-des-Landes ?

    • Oneshot

      Oneshot -

      Bonjour Christophe,
      Merci pour cette interview pleine de fraîcheur et de bon sens.
      Amicalement
      Stéphane

    • Alix56

      Alix56 -

      Un bel exemple à suivre. Je vais me débrouiller pour récupérer son bouquin chez des amis qui ont lu son deuxième livre. Peut-on lire le 2ème avant de lire le premier?

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